Alexandre de la Salle
Du noir aux noirs Au 17, et au 18, siècles, en Peinture, et au Théâtre, Arts sous haute surveillance, on représentera le Noir, jamais le Nègre - objet - de - la Traite innommée, innommable. Objet, soit, Sujet, jamais. II n’est qu’une couleur, un être sans Être, à mi-chemin de l’homme et de la bête, bibelot paré et perruqué, un enjoliveur. Le noir, la couleur noire, va conserver longtemps un statut paradoxal, de couleur, certes, mais d’emblée affectée d’un coefficient de dangerosité sociale et même esthétique. En 1573, l’Inquisition obligera Véronèse à modifier sa représentation d’un noir. On ne sortira que peu à peu de cette ambiguïté qui survivra aux Lumières, et même à la Révolution (1) I - Le noir, à travers siècles et ethnies, a toujours possédé une charge symbolique et émotionnelle considérable. II est associé aux manifestations de la douleur, de la mort, à la magie, noire, psychologiquement, ses plus sombres atours, pour mettre en scène bien sûr. II revêt, chagrins, deuils, grandes messes aux orgues terrifiants catafalques noirs, tirés par les chevaux noirs de l’Apocalypse. Le magistrat, l’avocat,le bourreau, sont ainsi masqués, et le prêtre, intercesseur obligé des processus nocturnes et mortels. Ils ont tous pris le noir en otage, pour, solennellement, de toutes les terreurs, tatouer le Monde Quant à la femme, le deuil en fait la pure image d’une déréliction théâtrale, qui, ipso facto, la rejette aux marges du monde, où elle va, seule ,incarner et épuiser la douleur. Pas la sienne, bien sûr, mais l’abstraite, l’universelle Douleur. Celle qui, sous son grand voile, masque tout. Bref, le noir prend alors figure tragique, solennelle, inquiétante. Sans doute le fallait-il alors, afin d’exorciser une réalité trop insoutenable pour que l'on ne la maquillât point. Le grandiose tragique... II - LE NOIR, (une non-couleur I) en peinture, recouvre alors, indistinctement, l'ensemble de ses variations possibles, du sombre jusqu'à la Ténèbre absolue. On n'en fait pas, encore, l'infinie succession des noirs, qui fera éclater cette limite quelque symbolique, en deçà de laquelle on baigne dans l'incantatoire, le maléfique, et la mort. Plus qu'une couleur, le noir était en quelque sorte, un Lieu, chargé d'intenses émotions, qui s'effaçait pour ainsi dire derrière lui-même, camouflant ainsi les structures de mentalités largement prélogiques. D'aucuns diraient les structures « inconscientielles » de l'Homme d'un Temps. IV - Les grands peintres - peu nombreux - par-delà le sujet, ont su user de toutes les ressources, nuances, et résonances du noir: du sec au velouté, des ombres aux lumières, du dramatique au somptueux.Velasquez, Hals, Manet...LE noir ?II n'y a plus que DES noirs, innombrables en leurs savantes déclinaisons Avec Alberte Garibbo, on atteint à l'acmé de cet éclatement, de ce processus. Je veux dire qu'elle s'est installée en leur coeur, et, là-même où la nuit parfois, se zèbre d'éclairs de feu ou d'argent, comme d'une lave qui, de la terre, sourdrait Plus que personne, elle sait maîtriser les subtilités, les aléas du travail des noirs, et, en véritable sacerdoce, elle s'est entièrement consacrée à cette Étude.Comme pour les grands pianistes, sa maîtrise assumée et donc oubliable, lui permet permet de pratiquement toujours atteindre le but qu'elle se fixe. Quand cerveau et mains, parfaites, ne sont plus qu'une seule et même Puissance,alors elle n'est plus que cet être-là-qui-peint, qui de peindre Existe, qui peint ce quelque chose qui est,à propre- ment parler, l'univers interstellaire, lieu sombre et sans limite où nulle lumière ne parvient, étoiles au point réduites, nulle planète n'y émulsant ses haleines. C'est dans la trame même de son peindre, de ses noirs, que surgissent, par accumulations d'infimes couches, d'autres noirs, plus noirs encore, comme pour illusionner vers le "moins noir" des noirs parfaitement noirs. De là naît cette profondeur plus qu'océanique:la prétention est grandiose d'aller au fond d'un cosmos sans fond ! Cependant, peintre averti, la surface, le travail de la surface, sont ici rigoureusement respectés. Tout est Là, sur la surface, à sa distance, à sa place,mais, à peine donnée comme surface, c'est comme si, par l'arrière, le fond, elle implosait vers l'inaliénable profondeur que j'évoquais. Alors le regard se laisse fasciner, et emporter, vers l'insondable, et les noirs ne sont ici connotés d'aucune mélancolie, d'aucun drame :ils sont dynamiquement dimension absolue d'un monde physique. Alberte Garibbo, ou la métaphysique du noir.
© Mars 2002 Alexandre de la Salle - Catalogue Galerie des Ponchettes - Musée de Nice () Voir Sylvie Chalaye:"interdits et représentations du noir au siècle des Lumières" COPYRIGHT® 2003 ALBERTE GARIBBO ALL RIGHTS RESERVED
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